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Pérégrinations d'une paria - FLORA TRISTAN
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Pérégrinations d'une paria
De flora tristan
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Résumé
Aux Péruviens
Péruviens,
Jai cru quil pourrait résulter quelque bien pour vous de ma relation ; cest pourquoi je vous en fais hommage. Vous serez surpris, sans doute, quune personne qui fait si rarement usage dépithètes laudatives en parlant de vous ait songé à vous dédier son ouvrage. Il en est des peuples comme des individus ; moins ils sont avancés et plus susceptible est leur amour-propre. Ceux dentre vous qui liront ma relation en prendront dabord de lanimosité contre moi, et ce ne sera que par un effort de philosophie que quelques-uns me rendront justice. Le blâme qui porte à faux est chose vaine ; fondé, il irrite ; et, conséquemment, est une des grandes preuves de lamitié. Jai reçu parmi vous un accueil tellement bienveillant, quil faudrait que je fusse un monstre dingratitude pour nourrir contre le Pérou des sentiments hostiles. Il nest personne qui désire plus sincèrement que je le fais votre prospérité actuelle, vos progrès à venir. Ce vu de mon cur domine ma pensée, et, voyant que vous faisiez fausse route, que vous ne songiez pas, avant tout, à harmoniser vos murs avec lorganisation politique que vous avez adoptée, jai eu le courage de le dire, au risque de froisser votre orgueil national.
Jai dit, après lavoir reconnu, quau Pérou, la haute classe est profondément corrompue, que son égoïsme la porte, pour satisfaire sa cupidité, son amour du pouvoir et ses autres passions, aux tentatives les plus anti-sociales ; jai dit aussi que labrutissement1 du peuple est extrême dans toutes les races dont il se compose. Ces deux situations ont toujours, chez toutes les nations, réagi lune sur lautre. Labrutissement du peuple fait naître limmoralité dans les hautes classes, et cette immoralité se propage et arrive, avec toute la puissance acquise dans sa course, aux derniers échelons de la hiérarchie sociale. Lorsque luniversalité des individus saura lire et écrire, lorsque les feuilles publiques pénétreront jusque dans la hutte de lIndien, alors rencontrant dans le peuple des juges dont vous redouterez la censure, dont vous rechercherez les suffrages, vous acquerrez les vertus qui vous manquent. Alors le clergé, pour conserver son influence sur ce peuple, reconnaîtra que les moyens dont il use actuellement ne lui peuvent plus servir : les processions burlesques et tous les oripeaux du paganisme seront remplacés par dinstructives prédications ; car, après que la presse aura éveillé la raison des masses, ce sera à cette nouvelle faculté quil faudra sadresser, si lon veut être écouté. Instruisez donc le peuple, cest par là que vous devez commencer pour entrer dans la voie de la prospérité ; établissez des écoles jusque dans le plus humble des villages, cest actuellement la chose urgente ; employez-y toutes vos ressources ; consacrez-y les biens des couvents, vous ne sauriez leur donner une plus religieuse destination. Prenez des mesures pour faciliter les apprentissages ; lhomme qui a un métier nest plus un prolétaire : à moins que des calamités publiques ne le frappent, il na jamais besoin davoir recours à la charité de ses concitoyens ; il conserve ainsi cette indépendance de caractère si nécessaire à développer chez un peuple libre. Lavenir est pour lAmérique ; les préjugés ne sauraient y avoir la même adhérence que dans notre vieille Europe : les populations ne sont pas assez homogènes pour que cet obstacle retarde le progrès. Dès que le travail cessera dêtre considéré comme le partage de lesclave et des classes infimes de la population, tous sen feront un jour un mérite, et loisiveté, loin dêtre un titre à la considération, ne sera plus envisagée que comme le délit du rebut de la société.
Le Pérou était, de toute lAmérique, le pays le plus avancé en civilisation, lors de sa découverte par les Espagnols ; cette circonstance doit faire présumer favorablement des dispositions natives de ses habitants et des ressources quil offre. Puisse un gouvernement progressif, appelant à son aide les arts de lAsie et de lEurope, faire reprendre aux Péruviens ce rang parmi les nations du Nouveau Monde ! Cest le souhait bien sincère que je forme.
Votre compatriote et amie,
Flora Tristan
Paris, août 1836.